Jacques Rancière : Paradoxes contemporains de la politique de l’art. 01/12/04 ENSBA Lyon

L'art n'est pas politique par les causes qu'il sert ou les messages qu'il transmet. II l'est par la manière dont il institue un espace ou découpe un temps, dont il propose des parcours et des arrêts, des communautés et des solitudes. En ce sens, tel projet contemporain de créer un lieu de solitude spécifique pour aider à la réhabilitation d'une banlieue en déshérence reste lié à la structure spatiale du musée et au grand rêve né au temps de la Révolution française et de la naissance du musée : celui d'un art transformant ses formes en formes d'une vie plus libre et plus égale. La « politicité » de l'art ne lui vient pas de l'extérieur ,elle est liée aux formes mêmes de ce qui l'identifie comme art. Mais cette politicité est paradoxale, toujours balancée entre l'idée d'un art politique par la spécificité de ses lieux et celle d'un art voué à sa propre suppression dans les formes de la vie commune. Cette tension d'hier est sans doute exacerbée aujourd'hui par le contexte politique du consensus. Le vide que celui-ci met sur la scène politique semble donner une fonction de substitution aux dispositifs et performances de l'art. Le musée se peuple ainsi de témoignages sur l'état du monde , de reproduction « critique » des images et dispositifs dominants, de photographies rendant compte d'interventions d'artistes hors des lieux de l'art , d'instruments , machines et édifices destinés à une production ou un logement alternatifs, de formes de sociabilité simulées. A ces allers et retours entre le dedans et le dehors, correspond une oscillation entre diverses figures de l'intervention artistique :fidélité au schéma critique de la mise en évidence des contradictions d'un monde ou jeu sur l'indécidabilité même du rapport entre dispositifs dominants et dispositifs critiques ; volonté renouvelée d'un art changeant directement le monde par ses actions et ses constructions ou glissement vers l'inventaire humaniste des objets, signes et images de la communauté . À travers l'analyse de quelques exemples contemporains, il s'agirait de poser la question : Comment différencier aujourd'hui un art politique ébranlant les formes du consensus et un art se vouant aux tâches de restauration du lien social à l'ombre du consensus?

textes de Jacques Rancière au sein de la revue «Multitudes», introduction à la philosophie politique sur wikipedia.org, éditions aux Presses Universitaires de France