Le témoignage de Sami Bouajila : "Ca a commencé avec papa, et maman l'a suivi, mais on n'a rien vu"

Sami Bouajila, comédien, a grandi dans une petite famille à Grenoble : deux parents aimants, d'origine tunisienne, et deux enfants, deux frères, Hédi et Sami ; "une famille très fusionnelle".
"C'est insidieux la manière dont la maladie s'installe, filigrane par filigrane", glisse l'acteur. "Ca a commencé avec papa, en 2004 je dirais. Oui, ça commençait déjà bien à s'effriter quand le film Indigènes est sorti. Il y avait d'ailleurs un nouveau cinéma près de l'appartement de mes parents. Papa passait tout le temps devant. Indigènes était sorti mais il n'en parlait pas. Par pudeur peut-être. C'était un cinéphile pourtant. C'est lui qui m'a fait aimer le cinéma. Un jour, un vigile a vu mon papa et il l'a emmené voir Indigènes. Mais il ne m'en a jamais parlé de lui-même."
Puis, le frère de Sami Bouajila l'a interpellé. Il s'interrogeait sur l'état de santé de leur père. "L'entourage, au début, il est dans le déni. Inconsciemment, de voir papa ou les siens comme ça, le premier reflexe, c'est d'être agacé... Puis, on a compris que papa ne reconnaissait même plus maman. Et puis, maman, elle l'a suivi, mais on ne voyait rien. Et elle aussi, elle était dans le déni... En fait, c'est graduel. On nous l'a expliqué après. Il y a des classiques dans la maladie. Donc, au début, c'est un peu amusant, enfin, surprenant, et on en rigole. Après, on est déstabilisé. Et après, on entre dans le néant, tous. On est désemparé."
Survient alors un rendez-vous chez une neurologue, au moment du diagnostic du père de Sami Bouajila. "Elle nous a dit : "moi, ce n'est pas de votre père dont je m'inquièterais, parce que voilà, on sait, mais c'est de votre mère"."
Les deux frères ont ensuite remarqué que leur maman, excellente cuisinière, ne l'était plus. Ils étaient à l'affût des signes. "Mais elle donnait le change, elle était trop forte."
Il y a eu ensuite des épisodes d'errance sur la voie publique chez le papa, et d'agressivité ; des symptômes qui peuvent apparaître chez les personnes atteintes par une maladie d'Alzheimer ou une maladie apparentée. La pathologie progressait.
Quelques années plus tard, le frère de Sami Bouajila, de passage à Tunis, a rencontré une personne qui lui a parlé d'un centre médicalisé, "dans le village de maman, à 500 mètres de là où elle a grandi". "Elle y a habité avec papa". Les parents des frères Bouajila y ont leurs repères. "Et vous savez, avec Alzheimer, on ne se souvient pas du temps proche, mais du temps ancien."
Les deux frères ont emmené leurs parents en Tunisie. "Comme ils entendaient parler arabe, ils ont cru qu'ils n'étaient jamais partis."
Les deux enfants se sont ensuite rendus autant que possible en Tunisie pour voir leurs parents. "Puis, papa est parti. Et maman, au début, elle cherchait son mari. En une semaine, elle n'a plus demandé après papa. Maman a ensuite repris de la force, du poids. Elle a l'œil vif, mais elle ne parle pas. Elle met deux jours à me reconnaître, mais quand elle me reconnaît, on le voit tout de suite dans ses yeux. Elle me tient la main, et elle le la lâche plus."

Interview réalisée en octobre 2024.
@France Alzheimer - 2025

Une collection France Alzheimer et maladies apparentées
avec Laurent Dupuis/Bénédicte Fonfroide de Lafon/Leandro Neto/Sandrine Nowak

Réalisation - Yoni Nahum
Interview - Laurent Dupuis/Yoni Nahum
Image - Jonas Leather
Son/Mixage - Grégoire De Mareuil
Montage - Sophie Tapia
Maquillage - Cara Cullen
Musique générique - Oaksome
Conception graphique - Héloïse Fournier
Studio - 11e District