Que cachent vraiment nos rêves ?

Le monde de l’invisible


On dit que la vie visible n’est qu’une façade, et qu’il existe, derrière chaque souffle, derrière chaque battement de cœur, un autre monde.

Un monde que peu d’humains aperçoivent.

Élias, lui, était né avec cette sensibilité.

Depuis enfant, il percevait des choses étranges. Quand il entrait dans une pièce, il pouvait sentir si une dispute avait éclaté avant son arrivée. Parfois, il entendait son prénom soufflé dans le vent. Et il rêvait souvent d’un couloir de lumière, mais au réveil, il n’en gardait qu’une impression vague.

En grandissant, il avait appris à se taire. Mais au fond de lui, la question demeurait : qu’y a-t-il derrière le voile du monde visible ?

Le soir du passage

Un soir d’automne, alors que la pluie frappait lourdement contre les vitres de sa maison isolée, une coupure d’électricité plongea la pièce dans l’obscurité. Élias alluma une bougie. La flamme vacillante dessinait des ombres mouvantes sur les murs.

C’est alors qu’il l’entendit.

Une voix. Non pas un son extérieur, mais un murmure intérieur, à la fois doux et profond.

— Élias… ce soir, tu es prêt.

Il sentit son cœur battre plus fort. Ses mains tremblaient.

— Prêt pour quoi ? demanda-t-il à voix basse.

— Prêt à voir.

La flamme de la bougie se déforma, comme aspirée vers l’intérieur. Les murs semblèrent se dissoudre, et devant lui apparut ce qu’il avait tant de fois entrevu dans ses rêves : un long couloir de brume bleutée, suspendu au milieu du vide.

Le couloir de brume

Chaque pas résonnait comme un écho infini. Autour de lui, la réalité s’était effacée. L’air avait une densité nouvelle, presque liquide. Des silhouettes translucides se dessinaient dans la brume : certaines lumineuses, apaisantes, d’autres plus sombres, aux contours incertains.

Une silhouette plus claire s’approcha. C’était une vieille femme au regard tendre.

— Tu ne me reconnais pas ? demanda-t-elle.

En la regardant, une chaleur traversa le cœur d’Élias : il la connaissait par de vieilles photos. C’était son arrière-grand-mère, morte bien avant sa naissance.

Puis, à côté d’elle, apparut un enfant riant. Ses yeux brillaient d’une innocence pure. Élias comprit aussitôt : c’était son frère mort-né, dont on parlait rarement dans sa famille.

Les larmes lui montèrent aux yeux.

— Nous ne sommes jamais partis, Élias, dit la vieille femme. Nous habitons ce lieu invisible, entre vos vies et vos rêves.

Les gardiens

Alors qu’il avançait, d’autres formes se manifestèrent. Certaines portaient des ailes lumineuses, d’autres semblaient faites d’étoiles. Elles n’étaient pas humaines, et pourtant Élias ne ressentait aucune peur.

— Qui êtes-vous ? osa-t-il demander.

Une voix, plus vaste que l’univers, résonna dans son esprit :

— Nous sommes les gardiens. Le monde invisible n’est pas un refuge, mais un miroir. Tout ce que les humains cachent, leurs blessures, leurs peurs, leurs secrets… finit ici.

Soudain, les formes lumineuses s’estompèrent, et d’autres surgissaient : des silhouettes sombres, déformées, criantes. Des visages crispés de douleur, des corps tordus par la colère.

Élias recula, terrifié.

— Qu’est-ce que c’est ?!

— Ce sont les douleurs non guéries des vivants. Elles errent ici tant qu’elles ne sont pas transformées. L’invisible accueille ce que vous refusez de voir.

La traversée des Ombres

Élias sentit une peur glaciale l’envahir. Les silhouettes sombres se rapprochaient, chuchotant des phrases qu’il croyait avoir oubliées :

Tu n’y arriveras jamais.

Tu es seul.

Personne ne t’écoute.

Ces voix venaient de son propre passé. Ses doutes, ses échecs, ses blessures.

Il voulut fuir, mais une main translucide se posa sur son épaule. C’était son arrière-grand-mère.

— Ne recule pas. Tu fais partie des passeurs. Tu peux apaiser ces ombres.

Alors, Élias ferma les yeux. Il respira profondément. Il se souvint des instants de joie de sa vie, des moments de lumière. Il les laissa jaillir de son cœur comme un rayon.

Les formes sombres reculèrent, se dissolvant dans l’air. Certaines éclatèrent en étincelles montant vers le ciel. D’autres se changèrent en silhouettes plus claires, apaisées.

La bibliothèque des âmes

Quand la brume se dissipa, Élias découvrit un autre lieu : une immense salle sans fin, remplie de colonnes de lumière. Chaque colonne semblait contenir une multitude de pages flottantes.

— C’est la bibliothèque des âmes, expliqua la voix. Ici sont gardées toutes les histoires, toutes les vies, toutes les mémoires.

Il s’approcha d’une colonne et vit apparaître une scène : son enfance, son premier vélo, ses peurs d’adolescent. Chaque détail y était inscrit.

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