Cinéma situé et pratiques terrestres des images animées, Elio Della Noce

Cinéma situé et pratiques terrestres des images animées, Elio Della Noce (Université Toulouse Jean-Jaurès)

L’image animée, qu’elle ait été fabriquée sur un support physique, convertie numériquement, ou bien générée artificiellement via des systèmes de deep learning informatiques, n’est jamais un produit hors-sol. Son existence matérielle, parvenue à nos yeux familiers, suppose l’extraction en cascade d’une quantité géologique de matières, allant des minéraux qui constituent les supports ou pièces électroniques – argent, silicium, cuivre, etc. - aux énergies fossiles et nucléaires qui fournissent les trilliards de données empilées, recombinées et réanimées dans des data centers. Penser « l’écologie des images animées » implique en premier lieu une conscience du sol sur lequel ses images reposent. Cette conscience du sol suppose, outre une curiosité pour sa vie palpitante, d’en sonder l’histoire vernaculaire et coloniale.

Considérer les images animées non plus comme objets déjà hors-sol, après fabrication, mais comme objets terrestres (de l’anglosaxon land-based), fabriquées en terre et avec la terre, retourner aux images fabriquées comme « le limon riche en informations que laisse dans son sillage l’objet qui les a émises » (Sontag, 1977), tout cela relève d’une écologie de la production des images. C’est en ce sens que ma communication questionnera en quoi l’étape première dans le circuit d’existence matérielle des images animées - leur fabrication - relève pour de plus en plus de cinéastes contemporains d’un engagement terrestre, d’une série d’expériences et de rituels situés sur un sol spécifique : appartenance culturelle à un sol, histoire coloniale, matières et vies non humaines de ce sol utilisées dans la fabrication des images, engagement du corps du cinéaste pour ce sol (vulnérabilité, lutte matérielle contre les ravages de l’extractivisme néocolonial).

Dans le champ émergent des cinémas autochtones arrive ce que je nomme un cinéma situé. Au Canada, chez des femmes artistes autochtones, l’engagement terrestre se joint à une pratique de « l’épistémè du point de vue », cherchant par les moyens expérimentaux du film à se libérer de la production d’une connaissance « objective » et scientifique occidentale. Par l’emploi de connaissances écologiques traditionnelles, les films ou performances élargies de L. McIntyre, S. Allooloo, du coll. Odeimin Runners Club, mettent au jour des formes d’écologies anticoloniales et situées. Tout en luttant pour une autodétermination culturelle et une préservation des écosystèmes natifs, ces cinéastes canadiennes déplacent le sens que nous occidentaux attribuons au mot « écologie », et de fait renouvellent le sens jusqu’alors assigné à une « écologie des images ».

Elio Della Noce est docteur et ATER en études cinématographiques à l’Université Toulouse Jean-Jaurès. Ses recherches se concentrent sur une histoire des pratiques et des formes d’engagements écologiques dans le cinéma expérimental et les cinémas autochtones contemporains. Il est programmateur indépendant et conférencier dans des festivals de cinéma internationaux, des universités françaises ou étrangères, des institutions nationales et des écoles nationales supérieures d’art. Il a notamment initié et dirigé l’ouvrage collectif international Expanded Nature - Écologies du cinéma expérimental (2022, Light Cone Éditions, CNAP) et programmé un cycle de projections-discussions au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris sur les approches non humaines de la perception dans le cinéma expérimental.

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Constitué dans la perspective récemment ouverte par les études culturelles et visuelles, ce programme développe un ensemble de recherches et de réflexions sur l’image et les savoirs visuels, en privilégiant une approche interdisciplinaire sur des objets dont l’étude passe par le visible ou par ce qui est rendu visible (ou invisible) : rapports de pouvoir, connaissance, information, etc.

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