Une vie, une œuvre : Édouard Manet ou la peinture nue (1832-1883)

Par Pascale Charpentier et Claude Giovanetti.
Émission diffusée sur France Culture le 08.07.1993.
Cette émission a été rediffusée dans une version écourtée le 03.12.2016.
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Intervenants :
Jean-Michel Alberola (peintre)
Henri Cueco (peintre)
Eduardo Arroyo (peintre)
Bernard Zurcher (historien de l'art et galeriste)
Bernard Noël (écrivain)
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[Présentation par France Culture de 1993] :

Manet est une histoire et une question de peinture. Il s'agit de rendre le peintre aux peintres, d'interroger et faire intervenir ceux qui font aujourd'hui encore de la peinture. Certes, il s'est passé entre temps quelques événements importants dans l'histoire de l'art comme dans la société... Edouard Manet a disparu, il y a plus d'un siècle. Nous sommes dix ans après la rétrospective Manet du Grand Palais et au terme de "quelque chose", mais la peinture n'est pas morte.

Manet inaugure "l'art du scandale" : L'"Olympia", "Le déjeuner dans l'atelier " et "Le déjeuner sur l'herbe", "L'exécution de Maximilien" et "Le torero mort", "Le balcon" et "Le bar des Folies Bergère", furent perçus entre 1860 et 1880 comme des "taches" de peinture, de tristes et absurdes images prêtant à rire aux éclats ou aux larmes. Elles scandalisèrent la société conservatrice. Devenues symboles, archétypes, icônes, fantômes de l'art moderne, elles demeurent autant d'images bizarres, autant d'énigmes. Témoin d'un réel qui commence à s'inventer, Manet procède par prise directe, prélèvement, fragment, écart, perspective impossible, décomposition des œuvres d'art du passé et des musées ; il se livre au pillage et au plagiat, au détournement et à l'assemblage.

Il y a un Manet-Titien, un Manet-Vélasquez, un Manet-Goya, un Manet-Ingres, un Manet-Manet, comme il y aura un Manet-Picasso et un Manet-Matisse. Un art de citations, en somme. Une mise à plat des écoles et des hiérarchies, désacralisation.
Manet est l'initiateur de la peinture nue et autonome ; il peint un nu comme une nature morte, et une nature morte ("L'asperge") comme un coup de pinceau qui renvoie à la peinture.
Manet est le maître d'une nouvelle manière de voir et de faire.
Insolence, violence, élégance... Grand bourgeois parisien, Manet dit : "L'art est un cercle, on est dedans ou dehors du hasard de sa naissance". Il sollicite honneurs et reconnaissance, mais son art appartint longtemps au cercle des peintres du "Salons des refusés", "Il faut être mille ou seul", dit-il. Seul, il ouvre une exposition particulière avec cinquante tableaux dans un pavillon construit à ses frais, près du pont de l'Alma, en marge de l'Exposition Universelle de 1867 ; "Vous êtes le premier dans la décrépitude de votre art", lui écrit Baudelaire.

Libéré de l'académisme, père incontesté de la modernité, Manet est un jalon, un repère idéal, entre peinture classique et peinture moderne reliées à la Grande Tradition.